Tony McCarroll a été le premier batteur d’Oasis, a connu les années de galère et des mois de gloire, avant de se faire virer sans explication et de voir s’échapper définitivement une vie promise de rock star nourrie à la coke. A l’occasion de la sortie du film évènement Supersonic – The Oasis Documentary, portrait d’un mec sans qui la britpop n’aurait pas été la même, mais dont personne ne semble se souvenir. Ce qui lui convient très bien.
1992, Manchester. Deux petits cons jamais très loin de finir leur nuit derrière les barreaux tentent d’occuper les heures, en déconnant, et en gagnant si possible quelques pièces au passage. Ils jouent dans un groupe, mais pour le moment, difficile de convaincre qui que ce soit qu’ils seront des stars. Aujourd’hui, Tony McCarroll et Liam Gallagher sont deux losers sans le sou. Bien sûr, leur dernière recrue, Noel, le grand frère de Liam, leur promet monts et merveilles, et il faut bien admettre qu’il a quelques chansons sous le coude qui pourraient, peut-être, leur ouvrir quelques portes. Et même si la poudre le rend con, et qu’il se prend pour un génie, ce Noel a de l’ambition à revendre. Le recruter était une bonne idée. Mais pour le moment, Oasis n’est rien. Pas grave, Tony et Liam bossent à côté pour BigUn. De son vrai nom Paul Ashbee, BigUn est, selon les propres mots de Tony, un spartiate. Un mec respectueux et respecté. Un entrepreneur, aussi, qui ne dépend de personne, et sait faire de l’argent. En ce moment, il tient un parking, fait le valet, s’occupe des véhicules de quelques personnalités locales. Alors, quand la légende Eric Cantona débarque en ville, et a besoin de regonfler les pneus de sa Mercedes toute neuve, c’est à BigUn que l’on confie cette mission pas bien compliquée. Liam et Tony, eux, sont trop heureux de pouvoir s’allumer un joint sur la banquette arrière. Après tout, il s’agit de Cantona, joueur star de Manchester United. Ils ont beau être fan de City, c’est la classe. Et pour les enfants de prolétaires qu’ils sont, les choix sont limités pour briller : la délinquance, la musique ou le football. Ils ont monté un groupe, mais avec Noel, Tony tape le ballon depuis l’âge de 10 ans. Cantona est l’une de ses idoles, pas question de déconner, d’autant plus qu’il suffit d’aller dans la station service du coin.
Mais BigUn veut faire des affaires, et décide d’empocher l’argent du joueur, avant d’envoyer le véhicule de luxe dans un garage miteux appartenant à une connaissance, afin de garder la différence quand cette dernière fera le boulot pour pas cher. Là, la voiture s’élève, beaucoup trop haut, sur une plateforme dans un état lamentable. Le mécanicien s’attèle à sa mission, en profite pour jeter un oeil au bolide, bien plus coûteux que n’importe quel fourgon passé par chez lui. Quand soudain, tout s’effondre. La portière, ouverte, percute le mur, broyée. Le bolide de Cantona est ruiné, elle doit lui être rendue dans une heure. Par miracle, une solution est trouvée, au prix fort. BigUn sait se démerder. Et le jeune Tony, 21 ans, ramène le véhicule à bon port, comme neuf, avant de retourner au local de répèt.
L’homme le plus stupide d’Angleterre ?
C’est l’histoire d’un mec sans doute passé à côté de son destin. Un destin qui devait l’emmener aux quatre coins de la planète, lui procurer ivresse et groupies ad vitam eternam, mais lui offrira un titre du quotidien The Sun, “Cet homme est-il le plus stupide d’Angleterre ?”. Tony McCarroll était le batteur d’Oasis, de 1991 à 1995. Il se souvient des tout débuts: “Ils cherchaient un batteur, et je suis donc allé les voir en concert. Ils avaient une boîte à rythme pourrie, et j’étais le seul batteur à des kilomètres à la ronde. C’est comme ça qu’a commencé à se développer le son de ce que deviendra plus tard Oasis, particulièrement autour de Bonehead, le guitariste, Guigsy, le bassiste, et moi. Il n’y avait pas vraiment de bon songwriting, donc a été obligé de se séparer du premier chanteur, et Liam est arrivé. Et nous n’étions plus qu’à une étape d’avoir le truc parfait. Noel est venu ensuite nous voir en studio après un concert. Et c’était parti”.
Noel Gallagher, le grand frère de Liam, est à l’époque roadie pour un groupe culte : les Inspiral Carpets. Ils tournent beaucoup, et Noel les accompagne. Il apprend le business, va au Japon, rencontre quelques groupies. Il vit son rêve mais en coulisses. Pas suffisant. Très vite, celui qui aime déjà se faire appeler The Chief ne cache pas ses ambitions. Mais la théorie selon laquelle il arriva comme un sauveur avec des dizaines de chansons sous le bras est, selon Tony, fausse : “Nous n’étions pas si mauvais, et lui n’était pas encore un grand compositeur”. Mise au point. Tony se moque gentiment en le décrivant “courant après son anoblissement, dès 1992.” Tous deux viennent de la même grisaille, et si les parents de Tony sont encore ensemble, contrairement au père Gallagher, alcoolique, violent et rapidement jeté dehors après le coup de poing de trop, il n’en reste pas moins que les futurs ennemis partagent la même envie de s’en sortir.
Je ne les ai jamais vu se battre, physiquement. Je pense que c’était un truc monté pour la presse. Mais oui, ils s’engueulaient.
Mais pour cela, le discret batteur devra composer avec les égos des deux frangins : “Je ne les ai jamais vu se battre, physiquement. Je pense que c’était un truc monté pour la presse. Mais oui, ils s’engueulaient. Et en même temps, il y avait une admiration mutuelle qu’ils ne se disaient pas. Quand Liam a invité Noel à venir nous voir en concert, on sentait qu’il voulait se donner à fond, qu’il avait une pression supplémentaire. Quand on est descendu de scène, Noel lui a dit que c’était de la merde, et pas un mot de plus. Liam était vraiment affecté. En fait, quelques minutes plus tard, on apprenait que Noel était en réalité très impressionné”. Pour avancer, le groupe décide d’aller en studio pour accoucher d’une démo. Un peu bas du front, très punk, Oasis n’a pour le moment que trois titres réellement prêts: Rock’n’Roll Star, Columbia et Bring It On Down. Ils se retrouveront tous sur le premier album, Definitely Maybe, en 1994, qui deviendra le premier album le mieux vendu de tous les temps à l’époque.