Olivier Cachin raconte Doc Gynéco. Son retour mitigé à l’Olympia en mai, son retour éclatant au Zénith il y a quelques jours et son retour certainement gagnant en album l’année prochaine.
Pour Bruno alias Doc Gynéco, tout avait (re)commencé un beau jour du printemps 2016, quand furent mises en vente les places pour un concert de retour à l’Olympia, dans le cadre du vingtième anniversaire de son album classique Première Consultation. Une bouteille à la mer, avec la crainte d’un bide à l’horizon. C’était sous-estimer le capital sympathie de celui qui fut rejeté par beaucoup en 2007 suite à son adhésion au candidat Sarkozy. Quand l’intégralité des 2 800 places s’écoule en quelques heures, le signal est fort et clair : il est temps de revenir voir le docteur. Un second Olympia est rajouté, puis un Zénith en novembre, et une tournée se monte, qui rencontre la même ferveur des fans.
Oublié l’épisode Sarkolâtre, fini les mauvaises vibes, ze Doc iz back. Un concert de chauffe a lieu au Plan de Ris-Orangis devant 900 personnes. J’y étais. L’émotion était palpable, le groupe excellent et Bruno Gynéco touchant, surtout quand on sait qu’en 20 ans de carrière, il a donné moins de concerts qu’il n’y a de doigts sur la main gauche de Django Reinhardt. Bruno aime son public, le fait chanter, descend dans la fosse pour arpenter la foule tandis que son backer Papillon (de La Clinique) assure ses arrières avec une détermination sans faille.
Mais suite au premier show de l’Olympia le 25 mai, les échos sont mitigés, comme on dit en langue polco. Certes, ce premier spectacle parisien sous pression a connu quelques temps morts (rectifiés le lendemain), mais la seule trace médiatique restante a été une collection de tweets rassemblés par quelques supports de presse (absents du concert) et faisant état de la déception de certains spectateurs. Ce qui donna l’impression d’un fiasco, alors que l’ambiance était bonne enfant et la majorité du public en empathie avec l’indolent rappeur. On a même lu un tweet affirmant que le public a “hué pendant 30 minutes”. À ce jour, on ne sait quelle était la substance ingérée par le colérique internaute.
Je suis sincèrement triste d’avoir déçu certains d’entre vous. Je ne me suis pas rendu compte, il n’y avait que des gens heureux en face de moi. Vous me bouleversez et j’adore vous entendre chanter, mais je vous ai tous lus et promis, ce soir, je chante AVEC vous.
Mais on y était, et on n’a vu que de l’amour (et, certes, quelques moments où Bruno se planquait derrière Papillon). Le résultat de ce Gynéco bashing en 140 caractères ? L’arrêt net des ventes de tickets de la tournée. Et pour le team de Bruno l’espoir d’une revanche au Zénith. Bruno poste sur son compte Facebook un billet en forme de Mea Culpa : “Je suis sincèrement triste d’avoir déçu certains d’entre vous. Je ne me suis pas rendu compte, il n’y avait que des gens heureux en face de moi. Vous me bouleversez et j’adore vous entendre chanter, mais je vous ai tous lus et promis, ce soir, je chante AVEC vous”.
Flash forward, vendredi 18 novembre 2016, 20h20 au Zénith. La salle se remplit doucement, tandis que Sianna, une des rares rappeuses françaises du moment, assure la “première” première partie en 15 minutes bien ficelées. Suivent les Sages Poètes De La Rue, excellente surprise avec un set énergique et quelques classiques, dont le proustien À La Recherche Du Rap Perdu et le single pour les old timers, Qu’Est-Ce Qui Fait Marcher Les Sages ? (21 ans déjà, dédicace au producteur Jimmy Jay).
21h24, le groupe entre en scène sous les vivas des 4 000 spectateurs. Bruno débarque, sans projecteur sur lui, avec son bonnet légendaire et son flegme de façade. Car Bruno est un vrai timide, et quand il déclare durant le show qu’il n’est rien et qu’il doit tout à son public, ça n’est pas du second degré. “La vraie énergie !” lance-t-il avant d’exécuter Viens Voir Le Docteur, ouverture d’un spectacle qui va durer 1h30 et aligner les hits de son album Première Consultation, plus quelques singles ultérieurs (Funky Maxime, Solitaire).
Au bout de 20 minutes, Gynéco descend prendre son bain (de foule) et rappe depuis la fosse du Zénith, se faisant piquer son bonnet par un fan fétichiste (heureusement, la production lui a prévu un couvre-chef de rechange). Papillon, fidèle au poste, balance une version de Playa, le hit de La Clinique. Tandis que je vois défiler Né Ici, Dans Ma Rue, Est-ce Que Ça Le Fait ? et consorts, je comprends que Doc Gynéco n’est plus seulement un rappeur. Il est comme un shaman, un George Clinton du rap français qui se nourrit des bonnes vibes et surveille son groupe avec bienveillance, content de sentir la ferveur des fans et le métier de ses musiciens. Et comme dans une célébration P-funk, les moments de grâce abondent. Pour Nirvana, Bruno laisse la foule chanter et se fait spectateur de son propre show. Il kiffe l’ambiance, fait un Big Up à son guitariste, embrasse Papillon, se nourrit de l’amour du public, heureux comme un enfant.
Paris je t’aime, ici c’est Paris !
Vers la fin du concert, il improvise un speech entre poésie et n’importe quoi, délectant ceux qui voient en lui un prophète déglingué, apôtre du freestyle linguistique. “Paris je t’aime, ici c’est Paris “, que de l’amour. On termine la soirée en loge, avec Bruno et ses amis, dans un pandémonium chaleureux où le rhum fait monter la température de quelques degrés (une cinquantaine si c’est du Trois Rivières).
Le Doc is back, il ne reste plus qu’à attendre, confiant, son nouvel album inédit prévu pour 2017, pour lequel il a déjà été enregistrer quelques pistes à Dakar avec Didier Awadi, de Positive Black Soul. Un disque qui promet d’être la confirmation d’un retour gagnant, celui qu’espérait tous ses fans mis en stand by depuis trop longtemps. Le philosophe de la Porte de La Chapelle, le praticien du 18ème, Bruno Beausir, a-t-il enfin vaincu ses démons ? Pour en être convaincu, il m’a suffi de le voir éclater de rire lors d’une visite impromptue chez moi afin d’écouter quelques-unes de ses maquettes. La teneur de ce nouveau répertoire ? Un peu de patience, et vous ne serez pas déçu.
Bruno est de retour.
Texte de Olivier Cachin