C’est une rencontre au comptoir avec l’humoriste Guillermo Guiz. Voici dix questions et dix réponses pour changer le monde.
Fraîchement débarqué de sa Belgique natale où il a été journaliste ou footballeur, Guillermo Guiz a écumé les scènes des comedy club français cet été, glané quelques récompenses et s’est fait repérer par Nagui qui lui confie sa chronique du vendredi matin sur France Inter, radio qui a le rire très belge depuis quelques temps (Alex Vizorek, Charline Vanhoenacker…) et c’est tant mieux. Ce talentueux humoriste a la verve acérée et rafraîchissante sera sur la scène du Point Virgule tous les mercredis à 21h15 à partir du 5 octobre. Etre sensible et concerné, il répond ici, sans aucun détour, à une poignée de questions cruciales.
Guillermo Guiz a un bon fond, d’accord, mais la forme tu en fais quoi, dans ce monde qui ne jure que par l’apparence ?
Si par forme, tu entends la manière dont je me présente au monde, je te dirais que ça dépend, je suis très changeant par rapport à ça, j’essaie d’avoir du style un jour, le suivant je m’en branle. Plus je vieillis, moins c’est important, mais j’essaie quand même d’être propre en public le plus souvent possible… Le jour où je serai célibataire, si ça arrive (ce que je ne souhaite pas), j’imagine que je serai plus à fond dans ce genre de questions. Et je te sens déçu de ma réponse.
Tu es belge, tu prends un pseudo espagnol et tu viens piquer le travail des humoristes français ? C’est ça ta vision de l’Europe ?
Mais oui, je suis né du bon côté de la mondialisation, j’ai bien l’intention d’aller au bout du délire. Après je volerai vos femmes et vos enfants. Je vous laisserai vos Citroen Berlingo.
Les mauvaises langues disent qu’être belge, c’est déjà drôle en soi…
Oui, si on considère que quelque chose peut être drôle pendant 40 ans d’affilée sans jamais s’essouffler. La Belgique, c’est comme ma femme, j’aime bien la critiquer moi, mais ça m’emmerde que les autres le fassent, spécialement les Français –qui ont déjà tiré sur cette corde pendant longtemps. Après, j’admets qu’on a d’énormes spécimens de cons chez nous. Mais j’ai la chance d’aller quelques fois en France en ce moment, et on sent quand même une vraie proximité géographique à ce niveau.
Qu’est-ce qui te fait rire en France qui ne te fait pas rire en Belgique par exemple ?
Le Gorafi, en France, je considère que c’est ce qui se fait de plus drôle en ce moment. J’ignore comment ils font pour être aussi bons, aussi souvent. C’est un mystère, je crois qu’ils ont inventé un robot ultime de l’humour. On a un équivalent belge très populaire, et même s’ils ont quelques fulgurances par ci par là, c’est dur d’être au niveau.
Les diablotins belges ont paru encore plus prétentieux et sûrs d’eux que nos bleus à l’Euro, alors qu’ils étaient favoris. Faut quand même le faire non ?
Oui, ce qui est normal, les diablotins, c’est l’équipe des Espoirs. Les Diables, ça c’est la vraie équipe. Et oui, je pense qu’ils ont pris la grosse tête, ce qui est normal. Si je jouais à Chelsea ou au Barça, je me la pèterais vraisemblablement.
Mais moi, tant qu’on se fait défoncer, j’ai la chance d’espérer qu’on fasse mieux au prochain tournoi. Et l’espoir fait vivre. Vous, dans vos cœurs de gagnants, vous déjà un peu morts.
De toute façon, je ne suis pas patriote.
On t’a aperçu à l’Olympia au spectacle de Louis CK. Pourquoi les américains sont-ils si forts en stand up alors qu’en France ça peut vite être pathétique ?
Doit y avoir 1000 raisons. C’est une culture depuis 50 ans là-bas, ça l’est depuis 10 ans ici. Y’a cinq fois plus d’habitants aussi, donc cinq fois plus de potentiel : le meilleur de 300 millions d’habitants, il a statistiquement toutes les chances d’être meilleur que le meilleur de 60 millions d’habitants. Mais c’est un argument à la con. Je crois que les meilleurs aux States ont 45 ans. Ils ont vécu des trucs et tapent leurs tripes sur la table, réfléchissent plus loin. Après, je suppose que si tu vas aux States, tu vas croiser des tas de gens qui te feront pas rire, ou qui ne te surprendront pas. Ici, au plus le genre va se populariser, au plus les standuppers vont vieillir, au plus y’aura de la qualité.
Tu parles beaucoup de racisme, de pédophilie ou de prostitution et si l’on sent une vrai connaissance et une certaine tendresse pour tous ces sujets, jusqu’où peut-on aller trop loin ?
Quelle bien vilaine question dis ! Aller trop loin, c’est légitimer les trucs en les banalisant, ce que je ne pense pas faire. J’essaie de ne pas rire des victimes, mais de l’absurdité intrinsèque de ces comportements (la prostitution est un autre problème) qui me posent des milliers de questions. Mais c’est évidemment tarte à la crème de dire : le racisme, c’est mal. Donc j’essaie de trouver des angles qui permettent aux gens de rigoler avec un nouvel éclairage sur la question. Ce que je parviens à faire ou pas, en fonction. Je considère vraiment que le racisme, qui est l’une des béquilles du capitalisme, est à l’origine de la situation merdique dans laquelle on patauge en ce moment.
Le cinéma belge a cette noirceur et ce ton décalé que l’on adore depuis « C’est arrivé près de chez vous », (Les Convoyeurs attendent, Au nom du fils, Les Ardennes, Belgica, Calvaire, Bullhead, La Merditude des choses, Eldorado, Panique au village), nous qui sommes très sérieux depuis la Nouvelle Vague. Quelles sont tes aspirations à devenir comédien, comme 90% de nos comiques, et tes inspirations cinéphiles ?
Je suis assez cinéphile, j’ai étudié un moment le cinéma, mais y’a 50% des films que tu cites que je n’ai pas vus. J’adore le cinéma de Felix Van Groeningen, j’ai beaucoup de respect pour Bouli Lanners, et Poelvoorde est un génie. Pareil pour François Damiens. Mais moi, je suis un comédien de merde, j’ai envie de crever chaque fois que je m’entends jouer. Donc à moins d’un gros retournement de situation, tu ne devras jamais endurer ma tronche au cinéma.
Les gens ont parfois tendance à oublier que tu étais journaliste avant. Tu as fait de la radio et là tu arrives chez Nagui sur Inter, qui embauche déjà beaucoup trop de chroniqueurs belges. Quel est donc votre secret pour parler aussi bien de la France, pays qui vous a longtemps méprisés ?
Ben c’était l’objet d’une vanne dans ma première chronique, qui n’est d’ailleurs pas passée du tout. J’ai évoqué le point Linda Lemay pour mon arrivée, le moment où l’immigration artistique commence à casser les couilles à tout le monde. Et franchement, je ne sais pas si « on » parle bien de la France, parce que je n’ai pas spécialement l’impression d’en parler bien. Et je n’ai pas l’intention, chez Nagui, d’arriver en mode : « Oh, vous les Français, vous faites ça et ça, alors que nous, les Belges, on fait ça ou ça. Et on est quand même moins cons que vous. » En fait, pour te dire la vérité, je ne sais pas ce que je vais raconter chez Nagui. Mais je peux dire « bite » sur antenne, ce qui est déjà une victoire en soi.
Demain matin, Marine Le Pen et Donald Trump sont élus… Tous ceux qui ont vu Idiocracy (Mike Judge, 2006) savent ce qui va se passer. Toi, tu fais quoi pour survivre ?
Ben moi je vis en Belgique où la droite dure est partiellement au pouvoir. Si je me lève assez tôt pour me battre, je le ferai, sinon je continuerai à vivre ma vie d’hétérosexuel blanc, à profiter des bien-faits du système tout en m’offusquant un peu de temps en temps, et en me disant que tout ceci est quand même très injuste. Après, si les gens opprimés sous Le Pen ou sous Trump commencent à se bouger, il n’est pas impossible que je me bouge aussi, dans mon coin, entre deux vidéos Youporn. De toute façon, Le Pen ou Trump ne changeront jamais notre condition métaphysique, et jusqu’à ma mort, c’est cette question-là qui me taraudera.
Question bonus : ton look grunge laisse présager un certain goût pour la musique, quelle est donc ta playlist idéale et quels sont les groupes belges qu’il faut à tout prix connaître, en plus de Jacques Brel et de Warhaus, dont le dernier album est magnifique ?
C’est une bonne et une mauvaise intuition. Je suis dingue de musique, au sens où je ne sors jamais dans la rue sans mes écouteurs, mais je ne suis pas un découvreur. J’ai fait une playlist sur Spotify de mes chansons préférées, que j’écoute en boucle, et j’y ajoute de temps à autre de nouveaux trucs. Au niveau des groupes belges, je suis la moins bonne personne à interroger. dEUS m’a fait bander pendant des années, mais j’ai lâché l’affaire. Zop Hopop, Zita Zwoon, Soulwax, Dead Man Ray, y’avait des trucs géniaux. Mais moi je suis très house en fait, en tant que clubbeur invétéré. Mon pote Simon LeSaint sort un truc là, sinon y’a Aeroplane et des gens comme ça que j’aime bien. Et je sens que tu es déçu. Mais tant pis pour toi fieu, comme on dit chez nous.
Questions et transcription préparés par Fabrice.
☞ Suivez Guillermo Guiz sur Twitter et Facebook et retrouvez le sur la scène du Point Virgule.