Vendredi soir, j’assistais au festival des inRocks. Comme à mes habitudes, je picolais, je buvais mes premières bières du week-end. Après Wolf Alice, c’est The Districs qui encore une fois m’a rappelé à quel point j’aimais ces moments. Un concert de rock, vécu aux premiers rangs, comme un besoin nécessaire pour terminer la semaine en beauté. D’autres bières et c’est The Fat White Family qui s’installe sur scène. Et là rapidement, une rumeur. Une explosion au Stade de France. Une fusillade au Petit Cambodge et au Carillon. Une autre rue de Charonne. Le Bataclan serait attaqué lui aussi. Les téléphones s’activent et la peur s’installe dans toute la Cigale, ma copine m’appelle. Je sors de la salle pour prendre des nouvelles de proches. L’envie n’est plus à la fête. Puis les mauvaises nouvelles tombent. Putain de vendredi 13.
Cette soirée fut longue. 2 jours ponctués de nombreux cauchemars. Et tout du long, l’incompréhension. Une amie touchée au Carillon, des copains morts au Bataclan. Avant, il fallait être dessinateur, policier, journaliste ou encore juif pour être visé. Aujourd’hui, tout le monde est menacé si on ne vit pas comme ils l’entendent. Il suffit d’être libre et de jouir de cette liberté pour être leur cible. Attaquer la jeunesse qui trinque comme une hérésie de plus à leur combat.
J’ai passé du bon temps au Carillon et au Bataclan. Un bar cosmopolite, sans particularité. Un rade où il fait bon rire et picoler avec tes voisins de comptoir. Une salle de spectacle où j’aurai pu me rendre ce soir là. Une salle de fête où j’y ai vécu entre autre mes plus belles soirées électro, le premier cube d’Etienne de Crecy, ma toute première fois avec The Black Keys, chantant à tue-tête les tubes de MGMT ou de FFF. Mon quartier n’est pas Barbès, mais celui de cette salle. Ce 11e arrondissement où je réside depuis bien 5 années. À regarder de ma fenêtre les fêtards de la rue de Lappe. Une rue qui m’emmerde parfois par ses abus et sa fête incontrôlée, mais une rue et un quartier de Charonne que j’aime de tout mon coeur. Et de le voir si vide samedi m’a encore plus fendu le coeur.
J’ai quitté mon chez moi de la Réunion pour vivre ces moments pourtant. Attiré par la lumière et la fête de la grande ville. J’ai quitté une terre où chacun vit avec l’autre et ses différences. Une terre dont le métissage est la force. Une terre où la pluralité de ses rites et croyances est une de ses plus belles richesses. À la Réunion, toutes les religions sont librement pratiquées, chaque chrétiens, musulmans, juifs, hindous, bouddhistes se rencontrent, échangent, sourient ensemble, une leçon incroyable d’universalité. A la Réunion, le chant du muezzin peut souvent répondre aux cloches des églises. Et cela ne pose de problème à aucune confession. Paris est ma nouvelle terre. Une terre d’accueil où chacun y peut s’instruire, s’amuser, grandir dans une belle convivialité. Dans des valeurs qui sont pourtant si évidentes. Bien sûr, elle connait ces problèmes et ces défauts, mais c’est pour cela que je l’aime aussi.
J’ai cherché à comprendre pourquoi et comment durant ces deux derniers jours. Cherché à comprendre ce flot incessant d’informations, de débats, de spécialistes, d’intellectuels. J’ai tout lu sur Internet et vu à la télévision. Mais je ne comprends toujours pas. Et sincèrement je m’en fiche ce matin. Je laisse certains politiques à leurs critiques indécentes. Je laisse certains à leurs insultes insolentes. Je laisse d’autres à leurs photos de recueillement impudentes. Je partage simplement votre peine et vos espoirs. Je nourrie simplement l’idée que si combat aujourd’hui, il serait celui d’aider à ne plus tomber dans la peur et l’amalgame. En espérant que ces quelques mots rallieront le plus de combattants avec moi. Des combattants invisibles, unis, prêts à tout pour ne pas attiser le rejet de l’autre, la haine. Des combattants prêts à vaincre l’ignorance. Ce cercle vicieux ne cessera de continuer tant que nous-mêmes n’auront pas l’intelligence de ne pas tout mélanger. Et je veux juste retenir et partager le message de cette mère à son fils simplement parce qu’il m’a fait un bien fou :
Est-ce que je continuerai à assister à des concerts ? Oui. Est-ce que je continuerai à boire des verres en terrasse ? Bien sûr. Est-ce que j’aurai peur ? Non. Vous avez assassinés mes frères de fêtes. Vous avez voulu lancer la terreur dans mon coeur. Peine perdue, j’ai aujourd’hui que de l’amour pour mes copains disparus. Pour rien au monde, je ne cesserai de vivre ces moments que j’idolâtre. A aucun moment, je ne songerai à me sacrifier. Sacrifier qui je suis et qui nous sommes. Sacrifier ma liberté de fêter, de boire, de danser, d’embrasser, de baiser, de jouir chaque instant. Je devais vivre Foo Fighters ce soir, cela n’est que partie remise. Et j’ai hâte.
J’aimerai que tous ceux dont le hasard a épargné la vie ce vendredi soir lèvent leurs verres. Aujourd’hui comme demain. Non pas par résistance, plutôt pour célébrer un moment, pour rencontrer l’autre, pour assouvir sa curiosité, pour partager cette perversité merveilleuse qu’est la liberté d’être ce que nous sommes. Que se soit un verre de blanc, de rouge, un petit noir ou encore un petit jaune. Quelle que soit sa couleur ou son origine, il faut jouir de cette vie avec un esprit de tous les diables. Entre bons copains ou parfaits inconnus. Discuter, échanger, tolérer, respecter, rigoler, partager, tous unis dans l’ivresse d’être jeune à jamais. Boire à la santé d’un Paris qui ne sombrera jamais. Faire le maximum de bruit. Rien ne m’empêchera de boire ma pinte à 8,50 euros en terrasse de toute façon, avec toi ?
Aux verres citoyens !
© Illustration de Lou pour Tiny Morning Sketch.