À la fin des années 30, Salvador Dalí, alors membre du groupe des surréalistes d’André Breton, est exclu du mouvement après plusieurs provocations – prises de position pro-fascistes, admiration déclarée pour Hitler. Le peintre s’exile alors aux Etats-Unis. Et lors d’un dîner mondain organisé par la Warner, Walt Disney, dont il a fait la connaissance quelques années plus tôt, lui fait part d’un projet sur lequel il travaille à l’époque : un court-métrage d’animation qu’il veut intituler Destino, le destin tragique de Chronos, dieu grec du temps, désespérément amoureux d’une mortelle, le tout sur fond d’une ballade mexicaine. Salvador Dalí est emballé, pesé, par le projet. Et surtout par l’idée de fusionner son oeuvre artistique aux dessins d’animations de Disney, tellement novateur à l’époque. Durant presque huit mois de 1956, Dalí montra ainsi chaque jour ses moustaches aux Disney Studios de Burbank. Aux côtés de John Hench et Bob Cormack, dessinateur et concepteur chez Disney, le peintre conçoit et travaille le story-board et les images destinées à illustrer Destino. Dalí produisant des dizaines et des dizaines de croquis, d’esquisses… qui malheureusement, ne seront jamais utilisés.
Destino devait à l’origine durer entre 6 et 8 minutes et faire partie d’un package film, c’est-à-dire un long métrage composé de plusieurs épisodes ou de récits de courte durée. À l’image de Fantasia sorti en 1940. Malheureusement, Destino ne put être achevé et ne fut mis en boîte qu’une séquence expérimentale de 18 secondes (celle des tortues à 5’20). Il est probable que la seconde guerre mondiale et la pénurie budgétaire concomitante ne contribuèrent pas à mener le projet à terme. Finalement, en 2003, grâce aux efforts de différentes institutions, Disney en tête, il est décidé de reprendre le projet ; on retrouve les ébauches et les premières idées sur lesquelles reposait le film. Une équipe de 25 experts en animation dirigé par le réalisateur français Dominique Monféry s’attèle à redonner vie, enfin, à Destino. Et le film fut présenter en avant-première lors du festival d’animation d’Annecy.
Destino raconte une histoire d’amour entre une danseuse et un joueur de baseball/dieu Chronos. La source d’inspiration pour le projet de Dalí et Disney étant la chanson mexicaine d’Armando Domínguez intitulée Destino. Ses paroles donnent corps à l’argument du film et la musique accompagne les images à tout moment. Par le biais de ce dessin animé, Destino souhaite mettre en scène et pointer l’importance du temps lorsqu’on attend que le destin intervienne dans sa vie. Un court-métrage d’animation magnifique que vous pouvez voir désormais à la suite.
Comme vous pouvez le voir dans Destino, Dalí parcourt une fois encore sa propre iconographie, son imagerie la plus personnelle, faisant usage du paysage de l’Empordà et des doubles images pour les transposer et les travailler dans le langage neuf des dessins animés à l’époque. La combinaison des doubles images avec les transformations d’objets, de même que les références constantes à des œuvres, illustrent un monde de rêves où se mêlent les dessins débordants de personnalité de Disney et l’imaginaire surréaliste dalinien. Dalí lui-même explique qu’avec Destino il a tenté de donner un “exposé magique des problèmes de la vie dans le labyrinthe du temps”.
Destino forme ainsi l’un des plus beaux tableaux surréaliste de Dalí. Animé par une série de transformations guidées davantage par des proximités de formes et de couleurs ou par un sens symbolique que par un quelconque réalisme. Destino en devient un produit artistique unique où l’expressivité dalinienne s’allie à la fantaisie et à la sonorité de Disney, un film où les images de Dalí prennent vie et les figures de Disney se dalinisent.
